Habituellement lorsque l’on vous parle de notre voyage, c’est pour vous faire partager nos belles découvertes et nos bons moments. Si la vie en bateau et l’aventure c’est souvent ça, elle comporte aussi son lot de galères. Il arrive parfois qu’on en ramasse plein la figure et qu’on subisse. Heureusement, ce n’est pas le cas trop souvent. Comme on aime tout partager avec vous, on va cette fois vous raconter un de ces moments où on regrette son lit, sa maison et sa tranquillité. En voici un exemple.
Tout commence après notre départ de Little San Salvador aux Bahamas. La météo est correcte et on prévoit une navigation de 24h, direction les Abacos, dernière escale avant les USA. Une fois de plus, le vent annoncé n’est pas au rendez-vous et on se traîne. L’air se charge d’humidité et des lignes de grains se forment à l’horizon. La météo annonce du nord pour dans 5 jours, une perturbation doit sûrement traverser le nord de la Floride. C’est tard pour la saison mais quoi qu’il en soit, le ciel donne des signes de mauvaises augures, on commence à savoir les repérer.
Le lendemain, l’instabilité se confirme, air chaud et humide, ciel couvert, grains relativement violents. On change notre route et on se dirige vers Eleuthera, plus proche. On trouve une petite crique bien abritée du sud est (vent du moment) et on s’ancre. N’ayant aucune confiance en mes prévisions météo optimistes (prises sur Internet 3 jours avant), je lance un appel sur le canal 16 de sécurité pour trouver une âme charitable pouvant me donner un avis plus réaliste. Mes doutes sont confirmés, un canadien m’avise que le vent va tourner et que des orages violents sont attendus. Ni une ni deux, on fonce s’abriter à Royal Harbor plus au nord. La baie est bien protégée de tous les côtés. Malheureusement, notre ancre ne prend pas, une partie des fonds sont herbeux et de mauvaise tenue. On trouve une place correcte et on s’installe. Deux bateaux dérapent la première soirée alors que le vent est calme. Ça n’envisage rien de bon, mais pas le temps de partir pour un autre abri. Le lendemain se passe sans encombre, les orages nous évitent. La météo annonce l’arrivée du front froid dans la nuit de samedi à dimanche et on est vendredi, c’est parfait. Plusieurs autres voiliers nous rejoignent, visiblement alertés du mauvais temps.
Vers 11h, alors que Morphée nous berce, le vent monte. Je me lève et constate que des éclairs illuminent l’horizon de façon continue. Ligne de grains, orages qui passent au loin ou le front qui nous arrive dessus ? La réponse arrive très vite, le vent tourne au nord ouest (180 degrés) et forcit d’un coup, pas de doute ça va barder, le front arrive. Un bateau est ancré proche de nous et ce changement nous rapproche dangereusement. Un autre, à notre bâbord, dérape et s’écrase dans celui qui se trouve derrière lui. Tout le monde est dehors, les deux voiliers sont l’un sur l’autre et ça hurle. De notre côté, le canadien derrière nous est vraiment beaucoup trop près. Le vent monte à 40 nœuds et il pleut des cordes. Les éclairs sont impressionnants. Merde, pas le choix, on dégage. On remonte l’ancre comme on peut, on passe de justesse le canadien proche de nous et on part se mettre dans un coin moins encombré. Le vent est encore monté. On plante notre ancre, ça tient. On reste dehors sur le qui-vive, mais l’ancrage lâche, le vent est trop fort. Hop, rebelotte, on remonte l’ancre encore une fois, à la main, ce qui n’est pas de tout repos, on avance et on re-balance le tout. Tout le mouillage est réveillé et visiblement on n’est pas les seuls à avoir des problèmes. Cette fois, ça tient. Il est 3h30 du matin. 4h que l’on court, tire, manœuvre et tentons de mettre Molly en sécurité. Le tout sous une pluie battante, un vent de tempête et des éclairs quasi continus. Pourvu que ça se calme.
Tout le reste de la nuit je n’aurais pas d’autre choix que rester veiller. Le vent lui se calme enfin un peu et les éclairs s’en vont faire peur à d’autres marins. Cette nuit ça aurait pu mal tourner. Une dernière petite clope et dès le lever du jour, si la météo le permet, j’irai dormir d’un œil pendant que Oriane reprendra la vieille.