Parlons donc maintenant d’un autre sujet qui semble vous intéresser. Effectivement si pour vous mesdames, notre boule de poils blanche et ses chutes à l’eau vous passionnent, messieurs vous semblez avoir tous la même question en bouche : « Bon, pis vous vous êtes ramassé des tempêtes ?? ». Comme on aime bien vous faire plaisir, on va parler de ces journées où on regrette d’être sur la mer : le mauvais temps.
Tous les marins s’accordent à dire que celui qui prétend aimer les tempêtes en mer est celui qui n’a jamais croisé de mauvais temps sur sa route. Les choses diffèrent par contre sur le moment à partir duquel le marin considère se faire « bastonner ». Cette limite varie beaucoup et dépend de l’expérience du capitaine, du bateau, de la région géographique ou même de l’équipage. Les américains (très peureux en général) trouveront sûrement une météo « extrême » là où un breton y verra à peine de quoi monter ses voiles. Ce que je vais vous raconter ici n’est donc rien d’autre que mon avis personnel après plus de 2 ans et demi en mer. Avant de partir, je prétendais, en bon novice, aimer les coups de vent. Je trouvais super de sortir sur le Dufour que je louais dans des bons coups de Bornand sur le lac Léman. Je me suis vite rendu compte, à mes dépens, qu’en mer la journée de voile ne se termine pas à 17h, autour d’une bière au bar du port du Bouveret.
« Prévoir »
Excepté les compétiteurs à voile (Vendée Globe, Route du Rhum) qui rêvent d’emmener leurs monstres en carbone dans des dépressions pour faire plaisir à leurs sponsors, tous les capitaines vont tenter au maximum d’éviter les coups de vent. Heureusement, de nos jours, les prévisions météo ont bien progressé et il est assez facile de planifier une navigation de quelques jours dans des conditions favorables. Personnellement, en cas de doute, je préfère repousser le départ et suivre l’évolution du temps. En mer aussi les technologies actuelles nous permettent d’avoir accès à tout moment à des prévisions fiables. Il existe pas mal de systèmes, nous avons opté pour le téléphone satellite.
Un deuxième point très important selon moi, est l’expérience du capitaine. Avec le temps, on commence à savoir anticiper et lire les signes annonciateurs de dégradations. Ce qui permet de préparer son bateau avant l’arrivée du mauvais temps et se dérouter vers un abri si nécessaire. Quelques cours météo avant un grand départ sont en règle général un bon investissement. Le reste vient avec le temps et j’imagine que même après 20 ans sur tous les océans, on apprend encore.
Enfin, le dernier point consiste à avoir son bateau prêt et équipé en tout temps. En effet, ce n’est pas dans 50 nœuds de vent qu’on pourra refaire une épissure ou sortir le tourmentin qui se trouve sous le réservoir d’eau de 120 litres. Personnellement, j’aime les bateaux solides qui m’inspirent confiance. 99% du temps, cela ne sert à rien et c’est même un handicap. Pour faire avancer Molly et son poids, il nous faut bien plus de vent que les autres. Mais dans une tempête, sa constructions solide, son gréement surdimensionné et ses voiles épaisses, c’est un bon avantage.
« Subir »
Bon maintenant qu’on vous a bien expliqué qu’on essaie au maximum de fuir le mauvais temps, je vais répondre à la fameuse questions de ces messieurs. Et ben OUI, en 2 ans et demi, c’est arrivé qu’on se ramasse des bonnes claques avec des grosses vagues et du vent fort. Mais, et je dis surtout ça pour ceux qui essayent de convaincre leur copine de partir, dieu merci, ça n’arrive pas souvent. Sous les Tropiques, ça n’arrive même vraiment pas souvent. C’est une autre histoire quand on monte en latitude nord ou sud. La météo n’étant pas la même au Canada et en Martinique.
On nous demande souvent si dans ces moments, on a peur. Sûrement qu’au fond oui, mais on a rarement le temps d’y penser. J’use toute mon énergie à faire en sorte que le bateau soit en sécurité. J’essaie d’avoir toujours un coup d’avance sur la météo. En cas de doute ou d’instabilité, je fais ce qu’on appelle « sous toiler » le bateau. Ce qui veut dire que je lui met moins de voile que ce dont il aurait besoin pour avancer. Si le vent monte, je ne risque rien et je peux diminuer encore un peu la voile dans de bonnes conditions. Il est certain que c’est pas le moyen le plus rapide d’avancer, mais c’est un système qui me convient. Dans les cas de gros doute, je sors aussi notre tourmentin et l’installe. C’est une voile très petite et très épaisse qu’on utilise uniquement en cas de très fort vent. La savoir prête à être montée me procure une certaine sérénité. Et pis voilà, je fume une clope, je bois un café et j’attends que ça passe. Oriane reste en général à l’intérieur et vient me surveiller ou m’aider si je dois envoyer des manœuvres plus lourdes ou dangereuses. Dès que ça se calme, elle prend le relais, et je file dormir au cas ou ça forcirait à nouveau.
Le pire ce n’est presque jamais le vent, c’est l’état de la mer. Ce sont les vagues qui rendent le bateau dangereux, le roulent et vous rendent malade. Dans les très mauvaises conditions, on essaie en règle général de les prendre de la meilleure façon possible. On appelle ça « se mettre en fuite ». On aligne le bateau pour que les vagues arrivent de l’arrière, ce qui le rend plus stable et plus manœuvrable. Il est clair que parfois cette technique signifie purement et simplement faire demi-tour et reculer en attendant que ça se calme.
« Une histoire ?!?! »
Il y en a sûrement qui aimeraient que je leur raconte des histoires de tempête en mer. Je viens d’en commencer 3 différentes et je me rends compte qu’elles ne sont pas si intéressantes que ça. À écrire, ça se résume à « j’ai pris un ris, pis un 2ème, et même un 3ème. Y’avait des grosses vagues, et j’ai subi pendant XX heures, tel ou tel truc à pété en deux et finalement, ça s’est calmé ». Une chose qui est sûre, c’est qu’une fois arrivé au port, on oublie rapidement ces heures ou on se bat avec les éléments et on pense à autre chose. Comme disait un vieux capitaine, la mer nous a laissé passer et c’est là le principal. Mais promis, si on se voit au bistrot et qu’on se descend quelques bières, je trouverai le moyen d’y mettre la forme et je vous raconterai quelques bonnes anecdotes…
D’ici là, on vous souhaite à tous une bonne année 2016, la santé et plein de bonheur !
Tout est dit :) Prévoir le plus possible et gérer l’imprévu autant que possible.
PS : Je kiffe ta Rocna !